Crise

Comment les restos qui font salle comble peuvent-ils faire faillite ?

« Sans nous, pas de cœur dans ton latté« , « Sans nous, pas de tête-à-tête au resto« , « Sans nous, pas de dürüm en sortie de teuf« … La Fédération Horeca Bruxelles vient de lancer une campagne intitulée « J’aime mon Horeca« , et invite la population à signer une pétition en ligne pour sauver le secteur.
Comment est-ce possible ? En Belgique, les restaurants bookés parfois des mois à l’avance, les adresses qui font salle comble, celles où l’on doit même parfois faire la file pour espérer dégoter une table… ne sont pas rentables. Pire, elles sont même carrément menacées de faillite. Selon l’office belge de statistique, Statbel, on en comptait près de 1 200 en 2023. C’est 13,1% de plus qu’en 2016. La raison de ce grand paradoxe ? L’augmentation du prix des matières premières, du loyer et de l’énergie. Une hausse également des coûts salariaux pour les patrons qui ne savent plus comment payer leur main-d’œuvre. Sans parler de la pandémie qui a modifié nos habitudes de consommation, et dont les répercussions se ressentent encore sur le porte-monnaie du milieu Horeca des années après.

Une pétition pour sauver l’Horeca
Pour soutenir le secteur de la restauration, la Fédération Horeca Bruxelles vient de lancer une nouvelle campagne intitulée « J’aime mon Horeca ». Elle appelle les citoyens à signer une pétition en ligne et à partager un hashtag sur les réseaux sociaux. « L’horeca belge et bruxellois, pilier essentiel de notre culture et de notre vie sociale, est en proie à une crise sans précédent, mettant à mal les établissements qui luttent pour rester ouverts malgré des charges accablantes et des marges réduites à néant », s’indigne la fédération. Cette précarité est « insoutenable », souligne-t-elle. Ce sont en effet près de 144 000 emplois et 25 000 entreprises du secteur qui sont concernés. À travers cette campagne, la fédération a bien l’intention « d’accroître la mobilisation pour influencer les décideurs politiques », plus particulièrement le prochain gouvernement en cette période préélectorale.

La pétition a déjà récolté plus de 4 000 signatures. Parmi les propositions concrètes évoquées, on retrouve une baisse de la TVA, une réduction des charges patronales, une augmentation des salaires minimums, une révision des flexi-jobs, une extension des heures supplémentaires défiscalisées et, enfin, une défiscalisation des pourboires. « Aujourd’hui, les commerçants de l’horeca tentent de s’ajuster, de craquer le code, de repenser le modèle. Mais l’équation semble insoluble », expliquent les initiateurs de la campagne. « Le resto en vogue où il faut réserver deux semaines à l’avance n’est pas pour autant rentable », illustre la fédération.

Cette dernière avait déjà publié un communiqué en octobre. Elle y réclamait plusieurs mesures au gouvernement, notamment l’adoption de règlementations « équitables et identiques » pour toutes les activités Horeca afin d’éviter la concurrence déloyale. Le secteur réclamait aussi un taux de TVA réduit à 12% pour les boissons non alcoolisées consommées sur place, ainsi qu’une indexation et une extension de la réduction pour groupe cible existante aujourd’hui pour un maximum de cinq travailleurs à temps plein dans le secteur. Enfin, une extension des heures supplémentaires brutes-nettes de 360 à 450 pour les travailleurs fixes avait également été réclamée. D’autres solutions existent également, telles que la défiscalisation des pourboires payés par carte bancaire.

Additions salées, restos toujours pas rentables
Le principal enjeu des hôtels, restaurants et cafés aujourd’hui ? Réussir à offrir une cuisine de qualité, réalisée à partir des meilleurs produits locaux, pour un prix décent. Une réalité devenue quasi impossible aujourd’hui. Un arrache-cœur pour les restaurateurs qui doivent en outre faire face à des clients refroidis par l’augmentation des tarifs. Une situation où personne ne se retrouve et qui signe, pour de nombreux restaurateurs, « la fin d’un secteur ».

La rédactrice en cheffe du Fooding, Elisabeth Debourse, publiait d’ailleurs en octobre 2023 un long édito consacré au sujet : « C’est vrai que les restaurants ont augmenté les prix, mais je pense qu’ils n’ont pas encore assez augmenté pour que cela reste rentable pour eux. C’est en grande partie pour faire plaisir aux gens, pour continuer de proposer un moment convivial. Il est difficile de répercuter la totalité de leurs coûts sur l’addition, parce que les clients ne sont pas prêts, eux aussi traversent une crise ». Un plaidoyer pour les restaurateurs qui rejoint les propos de Jacques, un restaurateur de Boitsfort, qui a dû réduire sa carte au fil des mois en excluant certains produits devenus trop chers. « Pour faire le traditionnel ‘3 points’ recommandé en horeca, nous devrions tout simplement doubler nos prix », nous confiait-il. « Pour nous aussi, les pâtes ont augmenté de 30%, mais quand on en commande plusieurs dizaines de kilos par mois, et que ces augmentations s’observent sur tous les produits, c’est notre marge qui fond comme neige au soleil ».

La plupart des chefs maintiennent donc des prix accessibles au détriment de leur aisance financière et de leur qualité de vie. Les établissements les plus impactés par cette crise du secteur seraient ceux qui proposent des prix « moyens », ceux entre le fast-food et le resto étoilé. Matthieu Léonard, le nouveau visage de la Fédération Horeca Bruxelles à Woluwe-Saint-Pierre, évoque ainsi un « Horeca à deux vitesses ». Ceux qui s’en sortent seraient ceux qui réussiraient à ouvrir plusieurs établissements sur une même zone géographique, comme il l’a fait lui-même avec son CoinCoin, Plouf ou plus récemment Baballe du côté de Woluwé, . « Mes établissements se trouvent à un kilomètre l’un de l’autre. Je parviens à faire des économies d’échelle. Je peux aussi faire diminuer les prix auprès de mes fournisseurs. Je peux communiquer aisément au sein de ma clientèle et crée un réseau. Mais ce n’est pas le cas pour les plus petits établissements, où le problème central est le coût du travail », expliquait-il à la RTBF.

Arrêter le « bricolage »
Dans l’attente de mesures concrètes de la part du gouvernement, les restaurants bricolent donc pour tenter de se maintenir à flot. On voit de plus en plus apparaître des doubles services (parfois des triples). Certaines adresses n’acceptent plus les enfants car leur couvert demeure moins rentable. Certains chefs décident de travailler des produits moins nobles ou de réduire leur carte, d’autres demandent des acomptes pour éviter les pertes en cas de « no-show ». Autant de mesures impopulaires qui crispent aussi bien les clients que les restaurateurs et qui ne font pas franchement évoluer le schmilblick. Voilà pourquoi la Fédération Horeca Bruxelles invite à se figurer un quotidien sans tous ces endroit où l’on aime sortir. « Des rues aux façades sans enseigne, sans bistro du coin ni de café où refaire le monde, sans terrasse animée où les discussions vont bon train, sans joyeuse tablée entre amis ni de resto en amoureux ». Un monde terrible en somme.

Comment les restos qui font salle comble peuvent-ils faire faillite ? (lesoir.be)

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